Mon parcours
de dys-igner
Déclarée multi-dys en 2005,
je suis devenue designer
J’écris cet article – inspiré de mon mémoire de bachelor ,“Dyslexie et graphisme sont-ils compatibles ?”, pour témoigner de ma propre expérience de graphiste dys et pour transmettre quelques idées et outils – à la portée de tous – afin de compenser ou de composer avec notre différence.
Remontons le temps, d’hier à aujourd’hui :
Les douces années du collèges
Déclarée dyslexique à mon entrée en 6e, mes années collèges se passent bien. Je suis déclarée à la MPDH – Maison Départementale pour les Personnes Handicapées – et je suis bien encadrée par le corps enseignant qui m’accorde les aides et tiers temps auxquels j’ai droit. Mon orthophoniste est top. Ma psychopédagogue me dit que j’ai un QI plus élevé que la moyenne et que tout devrait bien se passer pour moi. Mes notes ne sont ni très mauvaises ni très bonnes. Je tourne autour de 13 de moyenne générale. Je m’éclate en arts plastique et en SVT en particulier. J’obtiens mon brevet. Yes !

La débâcle du lycée
J’entre ensuite au lycée. Soutenu par mes parents, et forte des bénéfices du précédent encadrement, nous rencontrons la CPE pour l’informer de ma situation et de l’accompagnement nécessaire à mettre en place. Fataliste, la CPE de l’établissement nous répond : “Avec plus de 1500 élèves, si on se met à faire du cas par cas, on ne s’en sortira pas”.
Nous ressortons du rendez-vous surpris et déçu. Je me décide alors à tout arrêter : psychologue, orthophoniste, soutien scolaire… Merde, je ne suis pas plus bête qu’une autre ! À partir de ce moment-là, je dois et je veux être comme tout le monde.
Progressivement j’écarte la dyslexie de ma vie. Je vis assez mal ma différence et je tiens à oublier son existence pensant que je serais plus heureuse dans l’ignorance. Seulement, mes années lycée sont presque catastrophiques. La moyenne passe en dessous de 10. Seuls les arts appliqués, matière dans laquelle j’excelle sans difficultés, me donnent vraiment envie de me lever le matin. Je passe le BAC et je le loupe haut la main. Je me présente au rattrapage triste et désarmée. Le verdict est sans équivoque, je n’obtiens pas le précieux sésame.

Le défi des études supérieur
Par chance, j’avais visité une école de communication visuelle qui acceptait pour la dernière fois les élèves sans diplômes. Avec pour seul bagage mon brevet des collèges, je tente alors ma chance. Je passe les épreuves de candidatures et je sens “que ça sent bon”. Le feeling avec la directrice et l’intervenante passe bien. Elles sont sensibles à ma vision, sensible à mon – petit – coup de crayon. Bingo ! j’intègre l’école.
Je commence une année de PRÉPA en arts appliqués. Je me mets une pression dingue car pour moi, sans BAC, je ne peux pas quitter cette école privée financée par les économies de mes parents sans ramener de diplôme. Mon avenir et ma fierté sont en jeu dans ce cursus. Je me donne à fond avec passion. Ma dyslexie est totalement absente de mon esprit au point que j’oublie littéralement que je le suis.
Un jour, en cours d’archi Pia Loro l’intervenante s’approche de mon bureau pour étudier mon travail. Elle s’assoit à ma place et commence à corriger mes fautes d’orthographe, de français etc. Elle se retourne et me dit : “ oh lala Margaux c’est fou les fautes que tu fais. Je fais exactement les mêmes que toi et pourtant je suis dyslexique”. Est-ce que vous savez ce que ça fait de se prendre une porte dans le nez ? Et bien c’est à peu près la sensation que j’ai eu à ce moment-là. Moi qui avait réduit au silence ma différence pendant près de 4 ans, voilà qu’elle me jaillit en pleine figure ! Je quitte la salle les larmes aux yeux. Quelqu’un m’a démasqué ! Cinq minutes de lamentations sur mon triste sort plus tard, Pia me retrouve dans le couloir. Elle trouve les mots pour me mettre en confiance et nous commençons une conversation qui changera le cours de mon parcours.
J’ai tout juste 19 ans et j’entame un long travail sur moi. Je me réapproprie doucement ma dyslexie. Le corps enseignant et la direction de l’école sont à l’écoute et me soutiennent dans une démarche proactive. Je fais un bilan orthophoniste pour savoir où j’en suis et pour connaître les aides auxquelles j’ai droit. Je constate que ce genre de test n’est pas tout à fait adapté aux dyslexiques adultes mais il me permet d’obtenir un état des lieux. Résultats : Mes années de déni mon fait compenser certains points mais je coche encore les cases me permettant de bénéficier de l’impression des cours et d’un tiers temps aux contrôles et examens. La PREPA continue et se termine bien. Je passe l’examen de fin d’année que je réussi et j’intègre enfin le BTS communication visuelle. Je ne relâche pas la pression, au contraire. Je travaille jour et nuit. Je m’investis à fond. J’attends mon examen avec impatience tellement j’ai préparé mon coup. Les résultats tombent : j’obtiens le saint graal en étant, en prime, Major de ma promotion. Yes ! Yes !

La réalité du monde professionnel
Forte de cette victoire, j’entame dans la même école une année de licence professionnelle en design graphique que je réalise en alternance dans l’unique but d’entrer rapidement dans le monde du travail – Oui parce que les études, je commence à en avoir plein les baskets – J’intègre rapidement une agence de communication. Au début, je ne dis rien. Je ne voulais surtout pas que mes potentiels futurs employeurs s’imaginent que je suis handicapé et me discrimine pour ça. Je commence donc mes premiers mois d’alternance chez eux et les ennuis ne tardent pas à arriver.
Lors des briefing, ça va vite, oh putain ça va beaucoup trop vite ! Les idées fusent, les informations affluent. Le brief dure 5 min et je ressors du bureau avec une prise de notes sur un morceau de papier qui ressemble à un champ de bataille. Ratures, bavures, impacte de mine de crayon cassé. Plus d’encre bleue, alors je passe au vert. Le vert marche pas. J’insiste… Les sillons de la bille sur le papier me confirment que le vert ne marchera pas. Je saute vite sur le rouge. Ma prise de notes est pire qu’une prescription de médecin. Illisible, il y en a partout et dans tous les sens de la feuille ! Je ne parviens pas toujours à me relire. J’écris les sons que j’entends sans me soucier de l’orthographe des mots. J’écris en petit pour qu’on ne puisse pas lire mes fautes au-dessus de mes épaules. Je n’ose pas faire répéter mes supérieurs. J’ai peur de déranger, peur qu’ils me jugent. J’ai honte. La relecture de ma prise de notes est digne d’une épreuve Koh-Lanta…
Je me découvre une passion pour ma calculatrice et les post-it qui finissent par recouvrir le pourtour de mon écran d’ordinateur. Pense-bête ou simple rappel, ils sont essentiels à ma survie à ce moment-là. J’écris mes premiers e-mails à mes clients. Je passe une demi-heure à trois quart d’heure pour rédiger 2 phrases. Et surtout, malgré mes petites astuces de correcteur automatique en ligne, je commence à faire des fautes d’orthographe dans mes créas que mes supérieurs ne manquent pas de me faire remarquer. J’arrive au travail le matin la boule au ventre. Personne ne sait et personne ne doit savoir tant que je n’ai pas fait mes preuves. Objectif : les convaincre que je peux être leur prochaine collaboratrice indispensable.
Un jour, pas fait comme un autre, je ne supporte plus les commentaires de mon directeur. Il me fait la remarque de trop et je décide de prendre mon courage à deux main pour lui parler. Je le convoque dans son propre bureau. J’ai les jambes qui flageolent et le palpitant au max mais c’en est trop. Je prends de grandes inspirations (il m’en a fallu plusieurs) pour lui avouer ma différence et surtout pour lui demander d’arrêter ces réflexions qui, parfois, m’atteignent personnellement. De peur qu’il me juge ou me rejette, je lui explique tous mes efforts pour que ça ne se voit pas et je lui liste dans la foulé tout ce que je mets en place dans mon organisation pour lutter contre ce handicape.
A cet instant, je m’attends à tout sauf à son écoute attentive, sa compassion et son soutien. Je découvre qu’il est très réceptif à ma confidence. Il me remercie pour ma transparence et m’encourage à poursuivre mes efforts. Il me fait clairement prendre conscience que mes compétences de graphiste ne sont pas remises en cause. Désormais informé de la situation, il se porte même volontaire pour relire mes créations. A la sortie de son bureau, je suis soulagée et libérée d’un poids énorme. Je prend conscience que d’en parler est non seulement libérateur mais aussi constructif !
De là, j’en parle à une personne, puis deux… Très vite, je comprends que tous ceux à qui j’en parle me proposent leur aide. Personne ne me juge et tout le monde me soutient. Avec l’une je constitue un répertoire de mail type. Avec l’autre j’apprend comment gérer le calcul des échelles de grandeur. D’autres me relisent et quand l’un ne peut pas, c’est l’autre qui prend le relai. Tout le monde est vigilant et m’aide considérablement. J’arrête les post it, et je choisis des fiches couleurs plus structurées. Maintenant que l’équipe est au courant, je n’ai plus peur de faire répéter. Je n’ai plus peur d’arriver avec deux crayons et 3 stabilos. Plus peur de poser des questions. Cette liberté me permet de gagner considérablement en autonomie et en confiance en moi.
L’examen de fin d’année reposait sur la présentation d’un mémoire dont il fallait trouver une problématique personnelle en lien avec le métier. Quoi de mieux que celle à laquelle j’étais moi-même confrontée : “ Dyslexie et graphisme sont-ils compatibles ? ” L’écriture de ce mémoire m’a permis de prendre du recul sur ma situation en abordant le problème sous tous les angles. Avec ces avantages et ces inconvénients, j’ai dû entreprendre une véritable introspection.
En fin d’année, l’aboutissement de tous ces efforts se concrétisent par l’obtention de mon diplôme à la 2e place du classement et par la signature d’un contrat en CDI dans cette même agence. Yes ! Yes ! Yes !

Aujourd’hui
Après 8 ans d’expériences en tant que salarié,je décide de me lancer à mon compte munie de toutes les clés nécessaires pour continuer ce défis au quotidien. Au fil du temps, mes post-it sont devenu des fiches, puis les fiches sont devenues des “to do list” numérique interactive. Mes correcteurs automatiques en ligne ont été remplacés par un outil professionnel appelé Prolexis et je travaille chaque jour la confiance en moi. Par contre pour mes prises de notes, il y a encore du taff mais mon œil est plus avisé !
Pour conclure ce récit, j’encourage tous les dys-igner à raconter leur histoire, à s’entourer de personnes aidantes et à ne pas perdre confiance en eux car notre pire ennemi, c’est nous-même.
Dans un autre article, je vous donne 6 clés pour révéler le designer qui est en vous.
Vous aussi, partagez-nous votre histoire. Dites-nous comment vous vous organisez.
Faites entendre votre voix. #dysigner